CGSP-Enseignement: Joseph Thonon s'apprête à passer le relais à Luc Toussaint
On ne le verra plus avec sa veste écarlate lors des manifestations des profs. Après huit années à la tête de la CGSP-Enseignement, Joseph Thonon s'apprête en effet à passer le flambeau.
A 64 ans, le syndicaliste sera admis à la pension en août prochain. Il profite de ces dernières semaines de travail pour mettre le pied à l'étrier à son successeur, Luc Toussaint, jusqu'ici secrétaire régional du syndicat pour Liège.
"Je suis un peu fatigué et heureux de lui passer le relais", avoue le presque-retraité, interrogé par Belga. Ses deux mandats en tant que président du deuxième plus grand syndicat enseignant du sud du pays n'ont pas été une sinécure.
A cause des remous autour du Pacte pour un enseignement d'excellence bien sûr. Mais aussi en raison d'une véritable déferlante de crises ces dernières années.
"Il y a d'abord eu crise du Covid, puis les inondations de l'été 2021 qui ont détruit plusieurs écoles en province de Liège. Et puis la guerre en Ukraine qui a amené des milliers d'enfants ukrainiens à intégrer les classes des écoles en Belgique...", énumère-t-il.
De ces centaines d'heures de réunions, c'est toutefois l'adoption, au printemps 2017, de l'avis n°3 du Pacte pour un enseignement d'excellence qui restera son souvenir le plus vif en tant que président.
Comptant près de 400 pages, le document définit les multiples réformes à mener pour rendre l'école francophone plus efficace et plus inclusive. Le document a été âprement négocié des mois durant par tous les acteurs de l'école.
A ce moment-là, Joseph Thonon n'est aux commandes de la CGSP-Enseignement que depuis six mois à peine. "J'hérite alors d'un chantier déjà bien avancé et ce fut un grand stress car je mesurais déjà à l'époque dans quelle galère on s'embarquait...".
Huit ans plus tard, l'enthousiasme -déjà fort modéré- des débuts s'est complètement dégonflé. Les enseignants ont peu ou pas adhéré au projet. Ils descendront d'ailleurs en masse à plusieurs reprises dans les rues pour exprimer leur refus des réformes. Et une majorité des syndicats -à l'exception notable de la CSC-Enseignement- a même claqué la porte du Pacte d'excellence au printemps 2023 pour dénoncer le manque de concertation.
"Les premières mesures du Pacte étaient positives", reconnaît le leader syndical. "La ministre Schyns a commencé par engager un paquet de puéricultrices pour renforcer l'enseignement fondamental. C'était positif. Mais après, cela n'a plus été que des contraintes", grimace à présent le sexagénaire.
"On a d'abord eu les plans de pilotage qui se sont vite transformés en réunionnites dont rien ne sort. Puis on a vu arriver une gestion plus managériale de l'école, avec des objectifs chiffrés à atteindre... L'essoufflement du Pacte, il est donc dû à cette dérive des réformes, mais aussi à une accumulation de mesures très rapprochées. Tout cela a conduit à l'épuisement des enseignants", analyse-t-il.
Malgré la présence de deux ministres socialistes à des postes-clés pour l'enseignement (Caroline Désir à l'Education et Frédéric Daerden compétent pour les Bâtiments scolaires et la tutelle sur Wallonie-Bruxelles Enseignement, ndlr), Joseph Thonon se dit "déçu" du gouvernement arc-en-ciel sortant.
"La ministre Désir a toujours été ouverte au dialogue mais on n'a malheureusement jamais été entendu", regrette-t-il. "Les mesures prises par ce gouvernement ont été plus souvent en faveur des pouvoirs organisateurs qu'au bénéfice des personnels. De plus, les réformes mises en place ont été jetées comme cela, sans aucun accompagnement pour les profs sur le terrain!", se lamente-t-il.
A quelques jours des élections, quelle recommandation a-t-il à adresser au futur gouvernement pour la FWB? "Qu'il arrête de se retrancher sans cesse derrière les aspects budgétaires. Quoi qu'on demande au monde politique, la réponse est toujours la même: 'on est désargenté, vous devez venir avec des mesures non-coûtantes'", se désole le patron sortant de la CGSP-Enseignement
Ceci dit, la Fédération Wallonie-Bruxelles ne roule pas vraiment sur l'or. Et malgré cela elle est loin de sous-financer son enseignement, selon les études de l'OCDE.
"C'est vrai", admet Joseph Thonon "Mais cet argent n'est pas utilisé de manière optimale. Il faut plus d'argent pour les missions essentielles, comme le 'face classe'. C'est ça le coeur du métier. Or, aujourd'hui, de l'argent du capital périodes (destiné à financer la présence des profs dans les écoles, ndlr) est dirigé vers des missions de coordination", selon lui.
Pas mal d'économies pourraient également être réalisées en mettant fin à la concurrence entre les différents réseaux d'enseignement, ou en supprimant les cours de religion au profit de deux heures de cours de citoyenneté pour tous les élèves, suggère encore le futur retraité.
Enseignant depuis 1982, il est devenu délégué syndical en 1996 au moment des grandes grèves dans l'enseignement. "Déjà à l'époque, on voyait arriver la pénurie des profs vu les difficultés du métier", se souvient-il.
Vingt ans plus tard, ce problème de pénurie est plus brûlant que jamais, alors que les politiques peinent à trouver la panacée. "La solution, c'est d'améliorer les conditions de travail des enseignants, et particulièrement les plus jeunes. Sans cela, on n'arrivera pas à s'en sortir!", martèle Joseph Thonon.
"Ce qu'il faut faire, c'est donc protéger, aider les jeunes profs, mais aussi leur offrir plus de sécurité en les engageant pour une année scolaire complète au moins. Et puis, il faut aussi adapter le barème des enseignants à l'allongement des études", désormais passées à quatre ans contre trois jusqu'à présent.
Bientôt retraité, le futur ex-syndicaliste a déjà plein de projets pour l'avenir: quelques voyages, du temps pour ses petits-enfants, un mandat de juge social auprès de la Cour du travail de Liège dès novembre prochain. Et puis... candidat sur la liste PS aux communales d'octobre prochain à Namur, sa ville d'adoption. "Mais c'est juste pour soutenir, hein. Je ne veux pas être élu!".